
Chapitre 1 Extrait N°2
(…)
Ti-Cœur se rappela les mots de Pa Angel, lorsqu’il les côtoyait dans la bananeraie : « La notoriété féroce des frères Vallier dans les affaires, leur donne une réputation d’hommes froids et sans scrupules ».
– Tout est ok frérot ? questionna Régis d’un regard désapprobateur.
– Je n’ai jamais douté de toi. C’est une simple vérification, indiqua Gilles en lui lançant un clin d’œil.
Régis fit la moue.
– Où ce bougre de vieillard a-t-il pu mettre nos derniers contrats, grogna Gilles, en ajoutant :
– Pendant mon dernier voyage en Louisiane, j’ai fouillé notre maison familiale de Marigny de fond en comble, sans succès.
– J’ai exploré aussi les locaux du Vieux carré, sans aucun résultat, déplora Régis.
– Il les a signés avant sa mort, confirma ce dernier, en soulevant un parafeur vide du bureau.
– J’aimerai bien un ti punch, sollicita Gilles en desserrant sa cravate.
Puis, il s’affala dans un fauteuil.
Régis se dirigea derrière un bar en bois de noyer, déboucha une bouteille de rhum blanc, sortit deux verres à shop qu’il remplit au quart. Puis, il y ajouta du sirop et deux rondelles de citron vert.
– Sans ces actes commerciaux nous risquons gros. Où ce vieil empoté a–t–il pu les dissimuler ? pesta l’ainé.
– Prévaux ne m’a rien signalé. Et le coffre-fort est vide, souffla Régis dépité.
– Si nous voulons réussir nos projets, défricher et raser les terrains sur le pan de la montagne Empédocle, il nous faudra ce dossier.
– Je sais bien, souffla Régis, en apportant le verre d’alcool à son frère.
– Au fait, le chantier commencera dans quelles parcelles ?
Régis sorti aussitôt un dossier de sa mallette en cuir, puis le feuilleta les papiers cadastraux de la campagne de Cory Doras.
– Les travaux débuteront sur les terrains des Vrauchel et des Foureau, annonça-t-il.
L’enfant sursauta en entendant les noms de ses voisins.
– Je ne suis pas venu de Louisiane pour deux terrains ! Et le cabanon des vieux croupions ? invectiva Gilles mécontent.
– Les Angel ?
Gilles confirma en inclinant la tête.
– Attends un peu, répliqua Régis en triant ses feuillets.
Ces vauriens dénigrent mes grands-parents, constata Ti-Cœur ulcéré.
– Ha, voici leur avis d’expulsion. Leur taudis sera rasé et nous exploiterons le meilleur des terrains, déclara Régis en se frottant les mains.
Le garçon déglutit.
– Comment t’y prendras-tu pour les virer ?
– Je vais écourter leur bail. Il prendra fin dans trois mois au lieu de cinq années, affirma Régis.
– Ha ! Ha ! C’est une bonne nouvelle pour nos affaires, salua l’ainé hilare.
– Ils chercheront un nouveau logement.
– C’n’est pas mon problème. Par contre, je leur proposerai une solution amusante.
Soudain des bruits de canons retentirent au loin. Ti-Cœur ne pu entendre la suite de leur discussion.
– Pour cela nous devons trouver les originaux.
– Tu as raison. Commençons la fouille de cette pièce.
Empressés, ils ouvrirent les tiroirs et retournèrent les meubles.
Pendant que Gilles Vallier examinait les recoins du bureau, son frère parti à la cuisine. Ti-Cœur en profita pour se glisser derrière un paravent ornant un coin de la pièce.
Régis revint, s’arrêta devant lui en pointant un coutelas aiguisé.
Il m’a vu ! supposa l’enfant en tremblant.
Brusquement, l’homme enragé se précipita, vers le canapé, le renversa, puis déchira la doublure en mousse.
Ouf ! j’ai changé de place à temps, songea Ti-Cœur en observant le carnage.
– Qu’est ce qui te prend ? s’indigna Gilles.
– Rappelle-toi que notre idiot de grand-père aimait les cachettes ! répliqua Régis en éventrant le fauteuil paternel.
Dépité de ne rien trouver, Régis s’approcha du paravent. Il tendit le bras pour l’ouvrir. Ti-Cœur retint son souffle.
– Viens voir frérot ! alerta Gilles.
L’enfant fut soulagé de voir Régis Vallier faire demi-tour.
– Ces deux cartons étaient planqués sous cette nappe dans le placard à balai !
– Oh ! Il y a une lettre adressée à l’intendant. Écoute-moi ça :
– « Cher Georges, veuillez brûler ces vieux dossiers inutiles, dès que vous les trouverez. Merci. Édouard Vallier. »
Les deux hommes revinrent dans la pièce en déposant deux cartons sur le bureau. Ils feuilletèrent des dossiers épais.
– Il voulait les détruire ! marmonna Régis en déchirant la missive.
– Sa maladie lui a fait perdre la tête.
– Regardes ces écrits ! Il a osé faire le contraire ? hurla Gilles Vallier les yeux écarquillés.
– C’est pas croyable. Dans notre dernière réunion, le vieux avait pourtant accepté tous nos projets, et les avait même parafés, révéla Régis.
Gilles sortit ses lunettes.
– Il n’a même pas signé les contrats finaux, cria-t’il en colère.
Gilles s’empara de la feuille s’assit devant le bureau, trempa sa plume dans un encrier. Au bout d’un long silence, où l’on entendait chanter des criquets et des grillons à travers les persiennes, il déclara.
–Voici la preuve de mon efficacité !
–Tu es un champion Gilles ! s’exclama Régis en observant la parfaite imitation de la signature de leur paternel.
–Ni vu, ni connu ! Tout est parafé et signé, de deux mois avant sa mort. Le notaire Paul Dolfin n’y verra que du feu, conclu Gilles emballé.
– Tu gères d’une main de maître nos affaires de paperasse, constata Régis bluffé.
– Maintenant, occupes toi des expropriations, et moi, je continue la comptabilité de Prismes Tropic, notre société, fit Gilles en le pointant du doigt.
– Ne t’en fais pas, dans quelques semaines les propriétés nous reviendrons. Et sur le plan commercial, cela passera j’espère ? supposa Régis.
– Nos cargaisons me parviennent d’Europe et d’Amérique grâce notre parfaite organisation, précisa Gilles. Les Menchetos sont coopératifs. Je suis en relation avec le capitaine Peer Helltz. Rassures-toi.
– Tu es performant. De mon coté, je superviserai les transactions, approuva Régis. Et j’ai aussi besoin d’argent.
– Si tu veux des liquidités, va voir notre grossiste. Calliste Fanny t’apportera des créances trimestrielles, conseilla Gilles.
– D’accord ! Au fait, de quelle façon pourrons-nous justifier le désordre de cette pièce ?
– Hum…c’est l’œuvre de cambrioleurs ! On est en guerre, riposta l’ainé.
Régis éclata de rire.
– Tu es génial grand frère !
– Au moins, pour une fois Prévaux pourra se rendre utile, ajouta Gilles en écrasant son cigare dans un encrier de corail.
Les deux hommes se levèrent, regroupèrent les feuilles dans une mallette, puis en passant devant le portrait d’Edouard Vallier, Régis l’invectiva :
– A toi grand–père maudit, têtu comme un âne, incompétent, et le plus borné de l’île d’Amarante !
– Bon débarras, vieux crouton ! jura l’ainé.
Ensuite, ils vidèrent d’un trait leur verre et les jetèrent au sol. Les éclats de verre s’éparpillèrent sur le parquet ciré en glissant jusqu’aux pieds de Ti-Cœur.
Les Vallier s’éloignèrent en laissant la demeure plongée dans le noir. Ti-Cœur resta sonné par leur discussion.
Ils sont odieux et n’ont aucun respect pour leur défunt grand-père !
Écœuré, l’apprenti sortit de la bibliothèque en glissant le précieux livre à l’intérieur de son chemisier.
Des éclairs parcourraient le ciel, quand il s’éloigna du domaine des Vallier. (…)
FIN DE L’EXTRAIT N°2 Chapitre 1
J JASE-BEEP
